mardi 21 février 2017

Chronique Les rebelles Webzine pour "A la recherche de la bonté"

Merci à CocoMilady pour son avis sur mon roman :)

Le conte de la "Belle et la Bête" joliment revisité.


Dans cette nouvelle, on suit les aventures de Belle, une jeune bibliothécaire blogueuse qui se voit obligée d'écrire la biographie d'un héritier qu'elle exècre pour éviter la prison à son père. Au début récalcitrante et écoeurée par cet homme imbu de lui-même et égoïste, elle va peu à peu découvrir qui il est vraiment...

L'histoire en elle-même n'est pas super originale puisqu'il s'agit d'un conte revisité, mais elle est agréable à lire et l'on apprend à apprécier les deux protagonistes au fur et à mesure de l'avancée de l'intrigue. Au final, j'ai passé un bon moment et je trouve le format court parfait pour une histoire que l'on connaît déjà car ainsi, on ne s'ennuie pas.

Pour conclure : une jolie histoire si l'on a besoin de s'évader un court instant.

jeudi 2 février 2017

Prologue Nouvelle version : Royaume de Feanolis - Tome 1 la Cité d'Apsonia


Prologue
         Je tournoie sur moi-même en riant aux éclats, des flocons tombent sur moi m’enveloppant d’un manteau blanc. Je n’ai pas froid.
Suis-je en train de rêver ? Probablement.
Pieds nus, je marche sur le sol enneigé. Des brins d’herbe gelés glissent sous mes orteils. Je sens les rayons de la lune qui me réchauffent.
—Ilyana ?
C’est un murmure que je perçois dans la nuit noire. Qui m’appelle ?
Une bourrasque me frappe au visage. Brusquement, d’épaisses boules blanches et tranchantes m’encerclent, je suis gelée et le sang glisse sur mes avant-bras. Je supplie mère nature pour que cela s’arrête, tentant faiblement de me protéger de mes mains. Les épines insidieuses griffent, déchirent ma peau.
—Ilyana ?
C’est le souffle du vent qui me parle, me guide et me libère de ce cauchemar. Les perles glacées tourbillonnent autour de moi, me caressant. Je ne suis plus leur prisonnière.
—Ilyana ?
La voix devient plus forte. Je fais volte-face, mon regard s’attardant sur une lueur. Elle brille, elle m’éblouit, mais aussi m’attire irrésistiblement…
La main tendue en avant, je progresse à pas feutrés vers ce halo de lumière. Cet endroit m’est si familier, c’est étrange, mais je le sais, je le ressens : cet éclat est mon salut.
La neige forme un tapis blanc sur lequel je pose mes pieds. Elle aussi, elle sait que mon destin est lié à cette lueur. Elle m’indique à sa façon le chemin. Je ne marche plus, je flotte comme aspirée vers cette étincelle lumineuse. Je peux presque la toucher car malgré la distance qui nous sépare, mon âme lui appartient déjà. Il ne manque plus que mon corps pour établir le contact final.
—Ilyana.
—J’arrive, répondé-je à son appel désespéré.
Comme pour m’encourager, elle brille avec plus d’insistance. La délivrance est à ma portée, la distance a miraculeusement disparu entre nous. Je tends le bras et….

DRIIINNNGGGGG

Ilyana cacha sa tête dans l’oreiller en marmonnant.
—Ilyana, ma chérie, c’est l’heure !
La dure réalité la frappa à nouveau. Ce n’était qu’un rêve. Non, pardon, CE rêve ! Il la hantait si souvent ces derniers temps.
La jeune fille se redressa et fixa ses mains. Elle avait encore l’impression de ressentir la chaleur produite par cet éclat. Elle secoua la tête, elle était encore endormie, voilà tout.
Ilyana partit se préparer, elle ouvrit sa commode et sortit ses habituels vêtements : un sweat à capuche et un jean. Elle soupira, souhaitant se recoucher et appréhendant déjà la journée à venir.
—Et c’est reparti pour un tour…

Ilyana prit tout son temps, mais fut rappelée à l’ordre par une voix à l’étage inférieur.
Elle descendit le long escalier de chêne et sauta les deux dernières marches. Une habitude qu’elle avait prise.
—Tu vas arriver en retard un de ces matins, ma chérie.
La jeune lycéenne leva la tête vers sa grand-mère. L’usuel sermon ! Une routine qu’elle entendait chaque jour avant de partir. Elle ne dit mot, se servit un bol de lait et des tartines qu’elle mangea en silence. Toutefois, elle sentait le regard de la vieille femme sur elle, la scrutant. Elle soupira.
—Granny, ce serait sympa ! Imagine un peu : un jour, un retard et l’autre, je suis à l’heure ! Il faut casser la routine, tu le dis toi-même.
Elle analysa l’expression de sa grand-mère puis ajouta :
—Ma vie serait plus intéressante ainsi…
Granny s’approcha et repoussa une mèche de son visage. Une douleur pointa dans la poitrine de l’adolescente.
—Tu as beaucoup d’années devant toi, Ilyana. Tu es libre de choisir, ne l’oublie pas.
Parfois, lorsque sa grand-mère lui parlait, Ilyana avait la sensation qu’elle lui délivrait un autre message. Cependant, elle n’avait jamais osé la questionner sur le sujet. La jeune fille lui adressa un simple sourire, l’embrassa et termina son petit-déjeuner.
Granny se mit à lui raconter les nouveaux cancans du quartier. La vieille femme était tout ce qu’il lui restait. Ses parents étaient morts dans un accident de la route alors qu’elle n’était qu’un bébé. Granny l’avait élevée comme sa fille. Ilyana l’aimait plus que tout, pourtant elle ne pouvait se résoudre à lui faire pleinement confiance. Elle sentait qu’elle lui cachait quelque chose. Et puis, malgré tout l’amour que lui portait sa grand-mère, Ilyana aurait souhaité mourir avec ses parents. Elle, si différente…

La jeune fille regarda le soleil éclatant, il brillait avec intensité. Elle sortit ses indispensables lunettes noires. L’accessoire, sa seule protection, faisait presque partie d’elle. Elle les plaça sur son nez puis rabattit la capuche de son sweat. Lui aussi la préservait…
Elle monta dans le bus, la boule au ventre.
Comme toujours alors qu’elle franchissait les portes, chaque lycéen la dévisagea. Elle passa sa carte sur le lecteur et hésita à dire « bonjour » au conducteur. Il semblait aussi terrifié que les autres. Les « autres », ses semblables, paraît-il…
Un rictus apparut sur ses lèvres alors qu’elle s’éloignait dans le fond. Tout le monde s’écarta  sur son passage. Ils l’observaient avec effroi pour la plupart, mais dès qu’elle les dépassait, elle les entendait. Elle percevait leurs mots si durs…
Enfant, ils l’avaient blessée plus que de raison. Elle, si innocente de nature, désirant simplement se faire des amis… Aujourd’hui, la plaie dans son cœur avait cicatrisé, mais cela ne l’empêchait pas de ressentir un léger pincement lorsque commentaires et autres brimades parvenaient à ses oreilles…
—Ilyyyy !
Son expression se métamorphosa. Oubliées les paroles acerbes des badauds, seule la main folle d’Anna, sa meilleure amie, avait désormais de l’importance. Elle était son unique amie. Parfois, elle se demandait pourquoi Anna l’avait choisie, elle…
Ilyana lui adressa un signe de la main avant de la rejoindre à leurs places habituelles.
—Il fait beau, tu ne trouves pas ? s’exclama son amie, enjouée.
—Comme chaque jour, Anna…Comme chaque jour.
—Pff, rabat-joie !
Elle lui donna une pichenette sur le front et ajouta :
—A croire que tu souhaiterais la pluie !
—Pluie, neige, vent ! Peu m’importe tant que cela détourne leur attention de moi.
Ilyana sentait encore leurs regards pesants sur elle et cela l’oppressa…
Elle enfonça un peu plus la capuche sur son crâne. Combien de fois l’avaient-ils traitée de sorcière ? Croyaient-ils vraiment qu’elle pouvait leur jeter un sort ?
—En te cachant, tu attires davantage l’attention, Ily !
Anna ponctua son affirmation en lui découvrant la tête. Ilyana la réprimanda avant de remettre sa capuche en place. Bien évidemment, cet intermède n’échappa pas aux autres occupants du bus et Ilyana maudit son amie en silence. Un bref instant, du moins, on ne pouvait jamais en vouloir éternellement à Anna. La jeune fille pinça les lèvres et posa une main sur la sienne. Ilyana leva les yeux vers elle, Anna sourit puis sans crier gare, lui retira ses lunettes. La lycéenne observa intensément la jeune fille.
—Oh, Ily, tu es si jolie. Tu n’es pas différente de nous, de moi, assura-t-elle, bouleversée.
—Mais je le suis, Anna.
Ses yeux se firent plus sombres et sa camarade n’esquissa aucun mouvement quand elle lui reprit ses lunettes.
—Pas pour moi, dit-elle dans un murmure, sa main pressant la sienne.
Ilyana serra ses doigts et Anna afficha une mine plus réjouie. Cela la réconforta et elle commença à lui raconter son week-end.
La jeune fille s’efforça de l’écouter. Anna était si différente d’elle, si parfaite, si belle, si normale…
Elle était petite mais bien proportionnée. Son visage ressemblait à celui d’une poupée de cire, les joues bien rouges et quelques taches de rousseur sur son nez fin. Sa chevelure flamboyante était aussi ardente que l’étincelle dans ses iris. Anna était son arc-en-ciel sous un ciel gris, une mélodie couvrant le tonnerre, un flocon duveteux dans la tempête de neige. Elle l’aimait plus que tout, néanmoins, elle l’enviait d’être si libre…
Ilyana était l’opposé de la jeune rouquine : très grande pour son âge, de longs cheveux d’un noir de jais. Pas étonnant avec un tel physique que tout le monde la voie comme une sorcière… Sa différence n’aidait pas non plus. Anna l’adorait, la lui enviait, et Ilyana la lui aurait volontiers cédée.
                   Peut-être que sans cette aberration, ils l’auraient considérée comme un être humain ? Elle était certaine que même Quasimodo et sa difformité n’avaient pas ressenti cela…

Le bus s’arrêta et Anna s’emparait déjà de la main d’Ilyana, l’entraînant presque en courant en direction du lycée. Elle manqua de trébucher, mais se rattrapa. Hors de question de se donner à nouveau en spectacle !
Sa meilleure amie poussa la porte des toilettes des filles. Par chance, la pièce était vide. Ilyana souffla un bon coup. Les endroits clos la sécurisaient bien plus que le véhicule scolaire. Elle n’empêcha pas Anna de lui retirer ses lunettes de soleil, cette fois.
La luminosité éblouit la jeune fille qui porta une main en visière sur son front. Anna ne la laissa pas agir bien longtemps et l’écarta sans ménagement. La lycéenne poussa Ilyana face au miroir et déclara, souriante :
—Ose le nier, Ily, mais tu es belle.
Elle ne dit rien, trop habituée au « rituel » de sa camarade. Anna espérait à la longue que cela la libèrerait… C’était impossible. Ilyana s’observa dans la glace et les vit. Ses yeux si anormaux, sa différence qui causait tant de peur aux autres, et tant de chagrin pour elle…
Comment de simples iris pouvaient-ils être la source de tant de peine ? Pourquoi tout le monde devait-il fuir face à elle ?
—Oh, Ily, comme je t’envie.
Anna avait murmuré ces mots si douloureux à ses oreilles. L’envier ? Elle ne la comprendrait jamais. Son amie s’installa sur le rebord du lavabo et la fixa de ses yeux pétillants d’admiration. Ilyana passa une main sur son visage.
Parfois, elle avait la sensation que le miroir la regardait avec des yeux envoûtants, si effrayants.
—Couleur océan, waouh ! s’exclama Anna.
Elle soupira.
—Non, Ily, pas le gris ! Allez, souris un peu.
Elle tourna la tête vers Anna et ses yeux si beaux la rassérénèrent. Elle sentit alors les siens prendre une autre couleur.
—Doré.
Ilyana opina du chef et Anna éclata de rire, parlant de la valeur de ces iris et combien on voudrait les acheter sur eBay ! Même si l’idée était invraisemblable, elle l’écouta, le cœur réchauffé.
Anna était la seule qui pouvait la regarder ainsi, avec tendresse et adoration. Pendant ce court laps de temps, elle se sentait comme quelqu’un de normal.
Le jeu des couleurs perdura. Anna usa de stratagèmes permettant à Ilyana de ressentir diverses émotions. La colère les rendait rouges ou noirs, au calme c’était le vert qui prédominait. Ses états d’âmes étaient la cause des changements constants dans son regard.
Granny disait que c’était un don de Dieu. Il avait une drôle de façon de la « choyer », elle voyait plus cela comme une punition.
Etait-ce son fardeau car elle avait survécu à ses parents ? Les gens parlaient beaucoup de ce drame et selon eux, elle était la sorcière, celle qui avait jeté le mauvais sort sur son propre sang. Le sourire d’Anna disparut car ses iris avaient viré au blanc. Ses yeux avaient dû disparaître à ce moment précis, se fondant dans la couleur laiteuse de la sclérotique. Ilyana détestait blesser Anna, elle secoua la tête et une teinte grisâtre reprit place. Elle ne pouvait pas faire mieux, la douleur était trop présente.
—Rends-moi mes lunettes, Anna, s’il-te-plaît, quémanda-t-elle, en détournant son regard du miroir.
Son amie s’exécuta à regret. Ilyana n’avait pas d’autre alternative, c’était sa seule protection face au monde cruel. Les deux jeunes filles sortirent des sanitaires pour se rendre en cours.
Depuis leur rencontre, alors qu’elles avaient à peine six ans, Anna n’avait jamais quitté Ilyana. 
Bientôt dix ans d’amitié, pensa-t-elle, souriante.
Bizarrement, Anna s’était toujours retrouvée avec elle en classe. Elle se doutait bien que sa mère qu’elle ne connaissait pas beaucoup avait surement aidé dans cette initiative. Est-ce que le directeur avait accepté de peur qu’elle ne lui jette un sort ? Un fou rire s’empara d’Ilyana. Anna l’observa, étonnée. Elles entrèrent dans la salle de Monsieur Michel, le professeur d’Histoire. Il les salua avant de se détourner vers son tableau. Il avait peur d’Ilyana, comme tout le monde d’ailleurs.
Les deux lycéennes s’installèrent comme à l’accoutumée dans le fond. Anna donna brusquement un coup de coude à son amie et Ilyana leva les yeux vers lui : Patrick Lomal, beau capitaine de l’équipe de foot, premier de la classe. Il lui souriait comme chaque matin et son cœur fit une embardée. Depuis son entrée en seconde, Patrick lui avait souri chaque jour. Elle n’avait jamais retourné son geste. Elle ne le pouvait pas. Le regard perçant de sa voisine et petite-amie Emilie lui rappelait clairement qu’il était sa « propriété privée ». Elle enserra d’ailleurs son bras et Patrick reporta son attention sur elle. Ilyana remercia ses lunettes car son regard avait changé et elle n’aurait pas supporté de lire la terreur sur le visage de ses camarades.
Le cours commença mais Ilyana n’écoutait pas. Ses pensées revenaient irrémédiablement sur son fardeau. Elle n’avait trouvé qu’une solution possible à ce mystère : elle n’était pas de ce monde.
Pendant son enfance, elle avait imaginé un pays où tout le monde aurait cette modification sur le visage et où elle pourrait pleinement s’épanouir, sans crainte. Hélas, elle était une adolescente et les fables n’existaient pas, tout comme ce monde imaginaire si beau.
Pourtant, elle voulait encore y croire et ce rêve, n’était-il pas la réponse à ses questions ? Si seulement elle parvenait à atteindre cette lumière…

Je tournoie sur moi-même en riant aux éclats, des flocons tombent sur moi m’enveloppant d’un manteau blanc. Je n’ai pas froid.

Suis-je en train de rêver ? Probablement.

Pieds nus, je marche sur le sol enneigé. Des brins d’herbe gelés glissent sous mes orteils. Je sens les rayons de la lune qui me réchauffent.

—Ilyana ?

C’est un murmure que je perçois dans la nuit noire. Qui m’appelle ?

Une bourrasque me frappe au visage. Brusquement, d’épaisses boules blanches et tranchantes m’encerclent, je suis gelée et le sang glisse sur mes avant-bras. Je supplie mère nature pour que cela s’arrête, tentant faiblement de me protéger de mes mains. Les épines insidieuses griffent, déchirent ma peau.

—Ilyana ?

C’est le souffle du vent qui me parle, me guide et me libère de ce cauchemar. Les perles glacées tourbillonnent autour de moi, me caressant. Je ne suis plus leur prisonnière.

—Ilyana ?

La voix devient plus forte. Je fais volte-face, mon regard s’attardant sur une lueur. Elle brille, elle m’éblouit, mais aussi m’attire irrésistiblement…

La main tendue en avant, je progresse à pas feutrés vers ce halo de lumière. Cet endroit m’est si familier, c’est étrange, mais je le sais, je le ressens : cet éclat est mon salut.

La neige forme un tapis blanc sur lequel je pose mes pieds. Elle aussi, elle sait que mon destin est lié à cette lueur. Elle m’indique à sa façon le chemin. Je ne marche plus, je flotte comme aspirée vers cette étincelle lumineuse. Je peux presque la toucher car malgré la distance qui nous sépare, mon âme lui appartient déjà. Il ne manque plus que mon corps pour établir le contact final.

—Ilyana.

—J’arrive, répondé-je à son appel désespéré.

Comme pour m’encourager, elle brille avec plus d’insistance. La délivrance est à ma portée, la distance a miraculeusement disparu entre nous. Je tends le bras et….




DRIIINNNGGGGG




Ilyana cacha sa tête dans l’oreiller en marmonnant.

—Ilyana, ma chérie, c’est l’heure !

La dure réalité la frappa à nouveau. Ce n’était qu’un rêve. Non, pardon, CE rêve ! Il la hantait si souvent ces derniers temps.

La jeune fille se redressa et fixa ses mains. Elle avait encore l’impression de ressentir la chaleur produite par cet éclat. Elle secoua la tête, elle était encore endormie, voilà tout.

Ilyana partit se préparer, elle ouvrit sa commode et sortit ses habituels vêtements : un sweat à capuche et un jean. Elle soupira, souhaitant se recoucher et appréhendant déjà la journée à venir.

—Et c’est reparti pour un tour…




Ilyana prit tout son temps, mais fut rappelée à l’ordre par une voix à l’étage inférieur.

Elle descendit le long escalier de chêne et sauta les deux dernières marches. Une habitude qu’elle avait prise.

—Tu vas arriver en retard un de ces matins, ma chérie.

La jeune lycéenne leva la tête vers sa grand-mère. L’usuel sermon ! Une routine qu’elle entendait chaque jour avant de partir. Elle ne dit mot, se servit un bol de lait et des tartines qu’elle mangea en silence. Toutefois, elle sentait le regard de la vieille femme sur elle, la scrutant. Elle soupira.

—Granny, ce serait sympa ! Imagine un peu : un jour, un retard et l’autre, je suis à l’heure ! Il faut casser la routine, tu le dis toi-même.

Elle analysa l’expression de sa grand-mère puis ajouta :

—Ma vie serait plus intéressante ainsi…

Granny s’approcha et repoussa une mèche de son visage. Une douleur pointa dans la poitrine de l’adolescente.

—Tu as beaucoup d’années devant toi, Ilyana. Tu es libre de choisir, ne l’oublie pas.

Parfois, lorsque sa grand-mère lui parlait, Ilyana avait la sensation qu’elle lui délivrait un autre message. Cependant, elle n’avait jamais osé la questionner sur le sujet. La jeune fille lui adressa un simple sourire, l’embrassa et termina son petit-déjeuner.

Granny se mit à lui raconter les nouveaux cancans du quartier. La vieille femme était tout ce qu’il lui restait. Ses parents étaient morts dans un accident de la route alors qu’elle n’était qu’un bébé. Granny l’avait élevée comme sa fille. Ilyana l’aimait plus que tout, pourtant elle ne pouvait se résoudre à lui faire pleinement confiance. Elle sentait qu’elle lui cachait quelque chose. Et puis, malgré tout l’amour que lui portait sa grand-mère, Ilyana aurait souhaité mourir avec ses parents. Elle, si différente…




La jeune fille regarda le soleil éclatant, il brillait avec intensité. Elle sortit ses indispensables lunettes noires. L’accessoire, sa seule protection, faisait presque partie d’elle. Elle les plaça sur son nez puis rabattit la capuche de son sweat. Lui aussi la préservait…

Elle monta dans le bus, la boule au ventre.

Comme toujours alors qu’elle franchissait les portes, chaque lycéen la dévisagea. Elle passa sa carte sur le lecteur et hésita à dire « bonjour » au conducteur. Il semblait aussi terrifié que les autres. Les « autres », ses semblables, paraît-il…

Un rictus apparut sur ses lèvres alors qu’elle s’éloignait dans le fond. Tout le monde s’écarta sur son passage. Ils l’observaient avec effroi pour la plupart, mais dès qu’elle les dépassait, elle les entendait. Elle percevait leurs mots si durs…

Enfant, ils l’avaient blessée plus que de raison. Elle, si innocente de nature, désirant simplement se faire des amis… Aujourd’hui, la plaie dans son cœur avait cicatrisé, mais cela ne l’empêchait pas de ressentir un léger pincement lorsque commentaires et autres brimades parvenaient à ses oreilles…

—Ilyyyy !

Son expression se métamorphosa. Oubliées les paroles acerbes des badauds, seule la main folle d’Anna, sa meilleure amie, avait désormais de l’importance. Elle était son unique amie. Parfois, elle se demandait pourquoi Anna l’avait choisie, elle…

Ilyana lui adressa un signe de la main avant de la rejoindre à leurs places habituelles.

—Il fait beau, tu ne trouves pas ? s’exclama son amie, enjouée.

—Comme chaque jour, Anna…Comme chaque jour.

—Pff, rabat-joie !

Elle lui donna une pichenette sur le front et ajouta :

—A croire que tu souhaiterais la pluie !

—Pluie, neige, vent ! Peu m’importe tant que cela détourne leur attention de moi.

Ilyana sentait encore leurs regards pesants sur elle et cela l’oppressa…

Elle enfonça un peu plus la capuche sur son crâne. Combien de fois l’avaient-ils traitée de sorcière ? Croyaient-ils vraiment qu’elle pouvait leur jeter un sort ?

—En te cachant, tu attires davantage l’attention, Ily !

Anna ponctua son affirmation en lui découvrant la tête. Ilyana la réprimanda avant de remettre sa capuche en place. Bien évidemment, cet intermède n’échappa pas aux autres occupants du bus et Ilyana maudit son amie en silence. Un bref instant, du moins, on ne pouvait jamais en vouloir éternellement à Anna. La jeune fille pinça les lèvres et posa une main sur la sienne. Ilyana leva les yeux vers elle, Anna sourit puis sans crier gare, lui retira ses lunettes. La lycéenne observa intensément la jeune fille.

—Oh, Ily, tu es si jolie. Tu n’es pas différente de nous, de moi, assura-t-elle, bouleversée.

—Mais je le suis, Anna.

Ses yeux se firent plus sombres et sa camarade n’esquissa aucun mouvement quand elle lui reprit ses lunettes.

—Pas pour moi, dit-elle dans un murmure, sa main pressant la sienne.

Ilyana serra ses doigts et Anna afficha une mine plus réjouie. Cela la réconforta et elle commença à lui raconter son week-end.

La jeune fille s’efforça de l’écouter. Anna était si différente d’elle, si parfaite, si belle, si normale…

Elle était petite mais bien proportionnée. Son visage ressemblait à celui d’une poupée de cire, les joues bien rouges et quelques taches de rousseur sur son nez fin. Sa chevelure flamboyante était aussi ardente que l’étincelle dans ses iris. Anna était son arc-en-ciel sous un ciel gris, une mélodie couvrant le tonnerre, un flocon duveteux dans la tempête de neige. Elle l’aimait plus que tout, néanmoins, elle l’enviait d’être si libre…

Ilyana était l’opposé de la jeune rouquine : très grande pour son âge, de longs cheveux d’un noir de jais. Pas étonnant avec un tel physique que tout le monde la voie comme une sorcière… Sa différence n’aidait pas non plus. Anna l’adorait, la lui enviait, et Ilyana la lui aurait volontiers cédée.

Peut-être que sans cette aberration, ils l’auraient considérée comme un être humain ? Elle était certaine que même Quasimodo et sa difformité n’avaient pas ressenti cela…




Le bus s’arrêta et Anna s’emparait déjà de la main d’Ilyana, l’entraînant presque en courant en direction du lycée. Elle manqua de trébucher, mais se rattrapa. Hors de question de se donner à nouveau en spectacle !

Sa meilleure amie poussa la porte des toilettes des filles. Par chance, la pièce était vide. Ilyana souffla un bon coup. Les endroits clos la sécurisaient bien plus que le véhicule scolaire. Elle n’empêcha pas Anna de lui retirer ses lunettes de soleil, cette fois.

La luminosité éblouit la jeune fille qui porta une main en visière sur son front. Anna ne la laissa pas agir bien longtemps et l’écarta sans ménagement. La lycéenne poussa Ilyana face au miroir et déclara, souriante :

—Ose le nier, Ily, mais tu es belle.

Elle ne dit rien, trop habituée au « rituel » de sa camarade. Anna espérait à la longue que cela la libèrerait… C’était impossible. Ilyana s’observa dans la glace et les vit. Ses yeux si anormaux, sa différence qui causait tant de peur aux autres, et tant de chagrin pour elle…

Comment de simples iris pouvaient-ils être la source de tant de peine ? Pourquoi tout le monde devait-il fuir face à elle ?

—Oh, Ily, comme je t’envie.

Anna avait murmuré ces mots si douloureux à ses oreilles. L’envier ? Elle ne la comprendrait jamais. Son amie s’installa sur le rebord du lavabo et la fixa de ses yeux pétillants d’admiration. Ilyana passa une main sur son visage.

Parfois, elle avait la sensation que le miroir la regardait avec des yeux envoûtants, si effrayants.

—Couleur océan, waouh ! s’exclama Anna.

Elle soupira.

—Non, Ily, pas le gris ! Allez, souris un peu.

Elle tourna la tête vers Anna et ses yeux si beaux la rassérénèrent. Elle sentit alors les siens prendre une autre couleur.

—Doré.

Ilyana opina du chef et Anna éclata de rire, parlant de la valeur de ces iris et combien on voudrait les acheter sur eBay ! Même si l’idée était invraisemblable, elle l’écouta, le cœur réchauffé.

Anna était la seule qui pouvait la regarder ainsi, avec tendresse et adoration. Pendant ce court laps de temps, elle se sentait comme quelqu’un de normal.

Le jeu des couleurs perdura. Anna usa de stratagèmes permettant à Ilyana de ressentir diverses émotions. La colère les rendait rouges ou noirs, au calme c’était le vert qui prédominait. Ses états d’âmes étaient la cause des changements constants dans son regard.

Granny disait que c’était un don de Dieu. Il avait une drôle de façon de la « choyer », elle voyait plus cela comme une punition.

Etait-ce son fardeau car elle avait survécu à ses parents ? Les gens parlaient beaucoup de ce drame et selon eux, elle était la sorcière, celle qui avait jeté le mauvais sort sur son propre sang. Le sourire d’Anna disparut car ses iris avaient viré au blanc. Ses yeux avaient dû disparaître à ce moment précis, se fondant dans la couleur laiteuse de la sclérotique. Ilyana détestait blesser Anna, elle secoua la tête et une teinte grisâtre reprit place. Elle ne pouvait pas faire mieux, la douleur était trop présente.

—Rends-moi mes lunettes, Anna, s’il-te-plaît, quémanda-t-elle, en détournant son regard du miroir.

Son amie s’exécuta à regret. Ilyana n’avait pas d’autre alternative, c’était sa seule protection face au monde cruel. Les deux jeunes filles sortirent des sanitaires pour se rendre en cours.

Depuis leur rencontre, alors qu’elles avaient à peine six ans, Anna n’avait jamais quitté Ilyana.

Bientôt dix ans d’amitié, pensa-t-elle, souriante.

Bizarrement, Anna s’était toujours retrouvée avec elle en classe. Elle se doutait bien que sa mère qu’elle ne connaissait pas beaucoup avait surement aidé dans cette initiative. Est-ce que le directeur avait accepté de peur qu’elle ne lui jette un sort ? Un fou rire s’empara d’Ilyana. Anna l’observa, étonnée. Elles entrèrent dans la salle de Monsieur Michel, le professeur d’Histoire. Il les salua avant de se détourner vers son tableau. Il avait peur d’Ilyana, comme tout le monde d’ailleurs.

Les deux lycéennes s’installèrent comme à l’accoutumée dans le fond. Anna donna brusquement un coup de coude à son amie et Ilyana leva les yeux vers lui : Patrick Lomal, beau capitaine de l’équipe de foot, premier de la classe. Il lui souriait comme chaque matin et son cœur fit une embardée. Depuis son entrée en seconde, Patrick lui avait souri chaque jour. Elle n’avait jamais retourné son geste. Elle ne le pouvait pas. Le regard perçant de sa voisine et petite-amie Emilie lui rappelait clairement qu’il était sa « propriété privée ». Elle enserra d’ailleurs son bras et Patrick reporta son attention sur elle. Ilyana remercia ses lunettes car son regard avait changé et elle n’aurait pas supporté de lire la terreur sur le visage de ses camarades.

Le cours commença mais Ilyana n’écoutait pas. Ses pensées revenaient irrémédiablement sur son fardeau. Elle n’avait trouvé qu’une solution possible à ce mystère : elle n’était pas de ce monde.

Pendant son enfance, elle avait imaginé un pays où tout le monde aurait cette modification sur le visage et où elle pourrait pleinement s’épanouir, sans crainte. Hélas, elle était une adolescente et les fables n’existaient pas, tout comme ce monde imaginaire si beau.

Pourtant, elle voulait encore y croire et ce rêve, n’était-il pas la réponse à ses questions ? Si seulement elle parvenait à atteindre cette lumière…